vendredi 5 juin 2015

La vie quotidienne des écrivains # 4 l'argent, en avoir ou pas

En 1856, le journaliste Charles Colnet publiait Biographie des auteurs morts de faim, que vous ne trouverez pas dans les rayons de la Médiathèque mais sur Google Books.
L'expression "morts de faim" est peut-être un peu exagérée mais tout de même, il n'est pas toujours facile de vivre de l'écriture et l'image de l'écrivain, en mitaines, grelottant dans sa mansarde à côté d'un maigre feu est bien ancrée dans les esprits.
A contrario, certains auteurs arpentent les tapis rouges comme des super-stars et les transferts d'écrivains entre maisons d'édition (comme celui de Houellebecq, passé de Flammarion à Fayard en 2005) n'ont presque rien à envier à ceux des joueurs de football.
Petit panorama des auteurs, entre gros sous et petite monnaie.

Le pauvre poète, par Carl Spitzweg

Les écrivains qui travaillent

Les exemples sont nombreux, je vous en propose quatre :

Guy de Maupassant : alors qu'il approche de la trentaine, Maupassant s’attelle à la rédaction du roman Une Vie. Mais le temps lui manque : le jour, il travaille en tant que commis pour le Ministère de la Marine et le soir, alors qu'il voudrait mettre toute son énergie dans l'écriture, il se retrouve vidé, totalement incapable d'écrire.
Il confie sa détresse à Flaubert, son ami et mentor :
«Je ne puis plus me tendre assez pour rejeter toutes les lourdeurs qui m’accablent l’esprit […]. Je ne trouve pas ma ligne et j’ai envie de pleurer sur mon papier» (lettre à Flaubert du 21 août 1878)
Il se résout donc à faire un choix pragmatique : il laisse aux riches écrivains les longs romans pour se consacrer à la nouvelle. Il écrira donc Boule de Suif, gardant le manuscrit de Une Vie pour plus tard.

Honoré de Balzac : si quelqu'un a fait sienne cette maxime : "le temps c'est de l'argent", c'est bien lui !
Après s'être lancé dans une hardeuse entreprise d'édition, Balzac se retrouve criblé de dettes et développe une véritable obsession pour l'argent. Dans une biographie, Gonzague Saint Bris relate cette anecdote : un jour que Balzac bavardait avec son éditeur, il interrompit brutalement la conversation pour lancer au pauvre homme :  « voilà bientôt une heure que nous causons de choses inutiles. Vous m’avez fait perdre deux cents francs ».

Iain Levison :  avec ses Tribulations d'un précaire, Iain Levison nous livre le récit cocasse de sa carrière professionnelle qu'il résume lui-même en ces termes : "au cours des 10 dernières années, j'ai eu 42 emplois. J'en ai laissé tomber 30, on m'a viré de 9, quant aux 3 autres, ç'a été un peu confus. C'est parfois difficile de dire exactement ce qui s'est passé, vous savez seulement qu'il vaut mieux ne pas vous représenter le lendemain".
Pour payer ses factures, I.Levison s'est fait (entre autres) serveur, déménageur, marin au long court et vendeur d'à peu près tout ce qui peut se vendre.


Dany La Ferrière : il est lui aussi le roi de la débrouille, mais ses méthodes ne sont pas toujours orthodoxes. Dans Journal d'un écrivain en pyjama, il revient sur ses débuts difficiles et explique par exemple comment il payait son loyer :
« j’ai donc réduit au minimum mes dépenses et entrepris de séduire la fille du propriétaire de l’immeuble où je créchais. Je m’arrangeais pour croiser sa fille plusieurs fois par jour dans l’escalier. Et nous nous retrouvâmes un soir dans ma chambre. Depuis je n’ai plus eu à payer le loyer. »

Les écrivains rentiers 
Il n'est pas facile de savoir ce que gagnent les écrivains car le sujet est bien souvent tabou. Le Magazine Lire a tout de même consacré à la question un dossier spécial. (n°384, avril 2010).

Petit rappel : un contrat d'édition s'établit comme ceci : l'auteur touche 8% du prix de vente jusqu'à 10 000 exemplaires vendus, 10% de 10 001 à 20 000 et 12% au delà.
Voilà pour la règle, mais les exceptions sont nombreuses :

Céline par exemple a exigé de son éditeur Gallimard... 18 %
« 18% pour moi, sur chaque exemplaire, pas de ristourne, sec, pas de salades et en route […] d'avance, en liquide, pas de chèque. » Il a tout obtenu, sauf le liquide.

Daniel Pennac, également publié par Gallimard, aurait quant à lui joué une augmentation de droits d'auteur à pile ou face. Le sort à été favorable à l'éditeur, et l'écrivain, bon joueur, n'a pas bronché.

Selon un sondage réalisé par Forbes, les 3 écrivains vivants les mieux payés du monde en 2013 étaient :
  1. E.L. James (Cinquante nuances de Grey) 95 millions de Dollars
  2. James Patterson ( qui a écrit de nombreux polars, dont Tapis rouge ) 91 millions de Dollars
  3. Suzanne Collins (Hunger Games) 55 millions de Dollars
Mais ce phénomène d'écrivains super-stars ne date pas d'aujourd'hui. Par exemple, Victor Hugo signa le contrat du siècle pour Les Misérables et reçut une somme astronomique, l'équivalent de 600 000 € aujourd’hui. Avec l'argent, Hugo a pu entreprendre des travaux de rénovation dans sa très belle demeure de Guernesey et faire construire sur le toit son fameux Lock-out, une pièce tout en verre qui lui servait de bureau.
Le Lock-out de Victor Hugo
Mais parfois, les écrivains, n'arrivent pas à faire face à cette soudaine et colossale rentrée d'argent.
Par exemple, après avoir reçu le Prix Goncourt pour Les Noces Barbares, Yann Queffélec, ne sachant plus bien quoi faire de son argent, s'achète un voilier sur un coup de tête. Et il signe un chèque de 50 000F à une parfaite inconnue.

L'exemple de Françoise Sagan est bien plus dramatique. Malgré son succès, elle meurt dans la misère et lègue à son fils, 1,5 million d'euros de dettes en héritage...


Voilà qui conclut notre exploration de la vie quotidienne des écrivains. Pour ne pas finir sur une note négative, je vous laisse méditer cette citation de Stephen King :


(que l'on peut traduire approximativement ainsi : L'écriture n'est pas une question d'argent, de célébrité, de conquêtes ou d'amis. Au bout du compte, il s'agit d'enrichir la vie de ceux qui vous lisent et d'enrichir votre propre vie. Il s'agit de se lever, d'être en forme et  d'aller jusqu'au bout. Et d'être heureux, ok ? D'être heureux.)